Aucun de nous qui composons cette branche que nous avons nommée « humanité » ne l’ignore. Personne n’est sourd à la souffrance du monde, personne, pas même ceux qui se taisent…

 

La souffrance est partout. Elle est en chacun de nous, dans nos silences, dans nos colères, dans nos fuites en avant, dans nos dénis… Et chaque jour passe comme un train sans frein, et nos coeurs, wagons vides de sens, trébuches dans les creux de nos âmes. 

 

Nous avons failli… C’est une certitude reconnue, entendue, mais dont personne n’est responsable, ou plutôt si ! Les fautifs ce sont « les autres », "tous les autres », sauf nous ! Nous avons failli, non par manque de connaissance, mais par négligence, par cupidité, par égoïsme, par lâcheté…

 

Mais est-ce que tout s’effondre réellement ? Ce n’est peut-être qu’une mue, une vieille peau qui craque sous l’éveil d’une nouvelle naissance.

 

Dans ce grand vacarme de chutes et de cendres, il y a parfois le silence. Pas un silence vide, pas un gouffre, mais un souffle ténu, comme une braise sous la poussière, une luciole qui, chaque nuit, défie l’obscurité. 

 

Solidarité, courage, empathie, générosité, bienveillance, … c’est précisément là que résident encore un peu de sève dans les cœurs brisés. Pas dans ces tours d’acier, pas dans les discours qui ne trompent personne, mais dans les gestes désarmés, les élans maladroits, spontanés, dans les jardins en friche où les abeilles reviennent.

 

J’ai choisi ce chemin,  j’ai choisi d’écouter, d’ouvrir grand les yeux sur les invisibles, ceux qui marchent sans nom, dans les couloirs du monde, ceux que l’histoire oublie mais que la vie déchire. En tant que metteuse en scène et photographe, je leur ai offert le miroir d’eux-mêmes, non pas déformé, mais révélé, comme on dévoile soudainement un trésor couvert d’une toile blanche. Personnes en situation de handicap, femmes de quartier, jeunes en difficulté, migrants, et tant d'autres, …

 

J’en ai tendu des fils entre les solitudes. Je pense avoir offert à certains oubliés la chance d’exister autrement, non plus comme une victime, mais comme porteurs d’un feu ancien, fragile mais puissant. 

 

Voici ce que j’ai essayé de faire avec humilité toute ma vie. Voici comment j’ai tenté d’aimer ce monde malgré sa douleur noire. Je ne suis pas au-dessus des autres. Je suis simplement une femme debout, qui a choisi de faire sa part, avec la haine en moins.

 

Aujourd’hui j’ai changé de lumière, mais pas de mission, car la souffrance a mille visages et j’ai appris à la reconnaître dans un regard fuyant, un corps noué, une fatigue qu’on ne raconte pas.

 

Je suis désormais « Éducatrice en santé naturelle », une passeuse entre le corps et l’âme, naturopathe des douleurs muettes offrant à chacun ce que ce monde leur a volé : l’écoute, la lenteur, la bienveillance, le droit à la santé, au bien-être…

 

Aujourd’hui, j’ai 62 ans, ce métier, c’est mon dernier présent au genre humain. Pas une leçon, pas une victoire, juste un dernier geste dans le tumulte, une porte qui reste ouverte, une lampe qu’on laisse allumée dans une maison qui dort.

 

Aujourd’hui, je continue à prendre soin des autres, sans promesse, sans miracle, avec mes plantes, mes huiles, mes mots calmes et rassurants. J’écoute les corps comme on lit un poème froissé. Je marche à côté de ceux qui trébuchent ou qui tombent et je tends la main, pour dire que je suis là, que je comprends, que je vais les aider, les soutenir…

 

Je ne changerais pas ce monde, mais je peux accompagner ce changement. Accueillir, écouter, témoigner en silence de la résilience humaine, prendre soin, … et chaque jour dans cette fidélité à l’autre, telle une gardienne du vivant, je me poserais toujours la seule question qui vaille pour moi « que puis-je faire d’humain, aujourd’hui et maintenant, autour de moi ? »

 

​